Il y a quelques mois, j’ai été contacté par le copain Redscape pour collaborer sur un projet très personnel. Arrivant en fin de compo de son premier EP, Ghislain m’a fait super confiance en me demandant d’en réaliser le mastering. Grosse pression car je ne considère pas cette partie de production comme étant mon point fort, mis à part pour mes projets de fiction sonore, je n’avais jamais vraiment réalisé de mastering, encore moins pour un album complet et surtout pas pour un copain qui allait le sortir sur un label. Grosse pression.
Dans cet article, je voudrais arriver à montrer le travail que j’ai effectué sur l’album, c’est vraiment un travail découverte pour moi, j’ai essayé d’appliquer les quelques règles que je connaissais sur cette (dernière) étape de production. Tous les exemples sonores de cet article sont en Wav 24bit.
Une page blanche déjà pleine
Après avoir reçu et fait une première écoute de l’album de Redscape (ou Asceptic Siliceum, le nom qu’il utilise pour composer) j’ai ouvert Izotope Ozone 6 (je bosse sur le 8 depuis), un logiciel de mastering très reconnu et que j’utilise depuis une dizaine d’années très souvent (il n’y a pas si longtemps) directement dans Cubase sur le bus master, mais beaucoup moins depuis quelques projets, je préfère à présent faire un export d’un mix bien propre puis travailler le mastering à part et plus tard (c’est d’ailleurs ce qui est souvent conseillé).
Pour réaliser cet article, j’ai choisi Fault Trench, un morceau que j’aime beaucoup et qui m’a demandé pas mal de travail. Si vous souhaitez y l’entendre dans sa version non masterisée (ou y revenir plus tard) la voici :
C’est un morceau qui sonne super bien, j’aime beaucoup la panoramique, les petits glitchs sonores et l’ensemble très enveloppant qui ressort de cette compo. Il m’a fallu plusieurs années pour accepter de comprendre que faire le mastering, ce n’est pas prendre un mix qu’on trouve pas terrible et le mettre dans une boite magique qui va subitement le rendre génial. Là, c’était parfait, le mix d’origine était très bon, il fallait donc être très léger et subtil pour « continuer dans ce sens ».
Le logiciel, se présente ainsi, un ensemble de modules qu’on va pouvoir ajouter et régler. Classiquement vont être utilisés : une égalisation, une compression et souvent un compresseur/maximiser en fin de chaîne pour définir un niveau sonore et rendre l’ensemble d’un album homogène. C’est à peu près ce que j’ai appliqué en retravaillant aussi la panoramique et parfois en « excitant » certaines fréquences. Voici à quoi ressemble la chaine de modules de ce master (elle est différente pour chaque morceau, contrairement à ce que je fais en fiction sonore car habituellement j’essaie de mixer les épisodes d’une même série de la même manière pour appliquer presque le même master ensuite) :
Rendre l’ensemble plus propre
On commence donc par une très très très légère compression, l’avantage d’Ozone c’est qu’il permet d’ouvrir des plugins VSTs tierces, là j’ai utilisé un compresseur que je mets souvent sur le bus Master de mes projets pour lier un peu l’ensemble. Par habitude et sensation que c’était mieux, je l’ai installé en début de chaine de ce projet. Le réglage est vraiment light, le seuil est très haut et seuls quelques peaks seront compressés de manière extrêmement légère. Je trouve qu’une grande partie du mastering joue souvent sur le ressenti et que celui-ci est parfois influencé par des éléments visuels, des sensations sur lesquelles on a du mal à mettre des mots… ici, ce qui m’a fait garder le plugin en début de chaine, c’est la petit aiguille de Gain Réduction qui bougeait légèrement sur la partie forte du morceau (au milieu).
Pour vous permettre de comparer à chaque fois je vais poster le morceau sans l’effet et avec l’effet, le volume est un peu différent car il y a un léger make-up appliqué, cet effet ne s’entendra plus sur les prochains exemples.
Sans compression (une écoute vers 2:00 vous permettra de mieux entendre les changements) :
Avec compression :
Une fois cette compression activée, je passe à l’égalisation. A l’écoute sur le morceau, je trouvais que la basse du kick mangeait un peu sur les cotés de la panoramique, c’est assez fréquent en sortie de mix sur mes prods et j’ai donc l’habitude de séparer l’égalisation en Mid/Side, au lieu de régler une égalisation sur tout le morceau, on va régler celle du centre de la panoramique indépendamment de celle des cotés.
Comme vous pouvez le remarquer, je baisse les très très basses sur les cotés, et je les augmente légèrement au centre, j’ai aussi sur ce morceau diminué un tout petit peu les aigus et un petit pic entre 500 et 2000Hz sur les cotés car… encore une fois… je trouvais que ça sonnait mieux.
Sans égalisation (une écoute vers 2:00 vous permettra de mieux entendre les changements) :
Avec égalisation :
Je reste assez léger sur ce travail d’égalisation car il va être complété par l’étape suivante, une compression multibande. En gros, chaque bande de fréquences va pouvoir être compressée indépendamment des autres. cela va me permettre de contrôler un peu plus précisément les basses et de donner de la clarté et de la lisibilité au morceau. Parmi ces trois premiers effets appliqués, c’est celui que vous allez le plus entendre en comparant les écoutes. je le règle à l’oreille mais aussi de manière visuelle, quand le compresseur est activé on voit apparaitre le Gain Reduction en rouge et je fais en sorte qu’il ne soit pas trop violent.
Sans compression dynamique (une écoute vers 2:00 vous permettra de mieux entendre les changements) :
Avec compression dynamique :
C’est marrant parce que comme j’ai réglé ce module en même temps que d’autres c’est en écrivant cet article que je réalise pour la première fois que mon signal est presque un peu trop propre après ces quelques légères modifications. Bon, c’est un peu trop propre mais je le trouve quand même bien plus clair et c’était l’effet recherché. C’est l’heure de booster un peu tout ça !
Rendons l’ensemble plus marqué
Pour cela, je vais appliquer 2 autres modules, un exciter multibande qui va ajouter de la chaleur et du caractère (dit la page dédiée sur le site Izotope) à certaines bandes de fréquences.
Là encore, c’est assez subtil, mais pour que vous entendiez ce que va faire ce plugin je vais multiplier la quantité par 10 dans ce premier exemple :
Sans excitation (allez vers 2:00) :
Excitation x 10 :
Réglage du screenshot (celui conservé au final sur ce morceau) :
Enfin, j’aime abuser d’un plugins de panoramique multibande, je trouve que ça se prêtait bien à l’ambiance de ce projet mais de manière générale, je l’utilise très fréquemment aussi en fiction sonore. L’idée est de « pousser les murs » et de donner encore plus d’espace à certains éléments.
Sans Imager :
Avec Imager :
Bon en l’entendant aujourd’hui, je me dis que j’y suis allé très fort sur ce module, mais comme j’ai essayé de garder cet esprit sur les autres, je trouve que cela fonctionne bien dans la globalité de l’album, et que ça lui donne une petite identité. Comme c’est très appuyé, c’est un des premiers retours que m’avait fait Redscape il aimait comment l’espace devenait plus occupé.
Touche finale
Pour terminer, j’ajoute un compresseur (maximiser) qui va permettre de retoucher une dernière fois la dynamique et régler un volume de sortie qui sera le même pour toutes les autres pistes de l’album. L’idée encore une fois est d’y aller léger pour ne pas perdre la dynamique du morceau.
On peut alors comparer visuellement le signal de départ avec celui de fin :
Et on peut comparer à l’oreille (et à l’aveugle pour commencer ?), par contre baissez un peu le volume de vos écoutes, le gain a été augmenté. Pour ne pas se faire avoir entre le fichier de départ et le fichier final juste à cause du changement de volume entre les 2 fichiers, j’ai ajouté un Gain Match pour qu’ils aient tous les deux le même volume.
Avec Master :
Sans Master :
Et voilà, le travail a été un peu similaire mais les réglages différents sur les 4 autres pistes de l’album que vous pouvez retrouver sur le Bandcamp du label Abstrakt Reflections :
Un grand merci à Redscape pour l’opportunité de travailler sur ce projet, pour sa confiance absolue (alors que je n’en avais aucune en moi) et pour son autorisation de publier cet article. Téléchargez l’album gratuitement et n’hésitez pas à l’acheter si vous voulez aider le label à continuer à produire.
J’espère que cet article vous aura intéressé et que si vous avez remarqué de petites ou de grosses erreurs, si vous auriez abordé le travail différemment ou que vous voulez en discuter, la section des commentaires est ouverte !