Pour fêter mes 10 ans de fiction sonore, j’ai choisi de réfléchir au statut de cette dernière sur le web. A t-elle profité de la bulle podcast pour enfin être reconnue à sa juste valeur ? A t-elle réussi à attirer un nouveau public ? A travers cet article, j’essaie de faire le point sur comment JE vois la fiction sonore aujourd’hui. Vous avez le droit de ne pas être d’accord.
Pas assez branchée pour faire partie des cool-kids du podcast
Avez-vous déjà recherché la catégorie fictions sur l’application Apple Podcasts ? Voici une capture de leur catalogue, je vous laisse vous amuser à la retrouver :
S’il faut bien déclarer son podcast comme « Fiction » pour être reconnu par Apple, la catégorie est (en France) affichée sous le nom « Romans et nouvelles » trompant ainsi toute personne cherchant des podcasts littéraires et empêchant les curieux de se diriger vers la branche la plus narrative du podcast…
Peut-il y avoir une autre raison à ce choix que l’envie de cacher les fictions sonores au fond d’un tiroir ? Personnellement, je n’en vois pas et cela ne m’étonne plus. Depuis 20 ans la fiction sonore est considérée comme un hobby honteux que seule une communauté de « geeks de l’audio » semble apprécier. La fameuse « sagasphère((mot valise construit autour du terme de saga MP3)) » !
Une communauté trop fermée (on en parle ?)
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu que la « sagasphère » est un milieu « trop fermé ». Et je vous avoue que je n’ai jamais su comment réagir quand on me le disait.
D’abord si l’on compte seulement les personnes issues du forum de créations audio Netophonix comme représentants de la « communauté des fictions sonores » on passe à coté de 10aines de créateurs et créatrices qui n’y sont pas inscrits, voire qui n’en ont jamais entendu parler. C’est une chose encore plus fréquente aujourd’hui car malheureusement le forum est en train de dépérir doucement malgré les efforts d’une partie de la communauté pour mettre en place des évènements, des concours, des fictions collaboratives.
Ensuite, si par « fermée » on entend « qui nécessite de s’inscrire sur un forum et de discuter avec les autres créateurs plutôt que d’y venir uniquement pour obtenir des retours sur sa création »… votre problème est peut-être là. Appartenir à une communauté, c’est un investissement qui demande du temps et des échanges. En prenant le temps d’écouter, de commenter, de discuter vous devriez découvrir des gens très accueillants.
Enfin, personnellement, la sagasphère est un milieu qui m’a ouvert l’esprit et les idées à plein de choses, me faisant rencontrer des personnes de nombreuses communautés et m’aidant à devenir plus respectueux des autres. Je ne comprends pas pourquoi cela aurait marché sur moi et pas sur d’autres 😜
D’ailleurs la « communauté » s’est rencontrée à 4 reprises lors d’une convention ouverte à tous et toutes (MP3àParis), en ayant invité des personnes issues de tout le monde de la création (Radio France, beaucoup de start-ups de l’audio, des podcasteurs et podcastrices de tous horizons) de la manière la plus sympathique et inclusive possible. Peu des invités ont ensuite retourné la proposition et les créateurs de fiction se sont vus « oubliés » lors de rassemblements podcastiques plus professionels. La seule autre convention qui ait accueilli (et accueille encore) autant de créateurs de tous bords, c’est l’excellente PodRennes et même si là bas tout le monde n’est pas fan absolu de fiction sonore, les participants se sont toujours montrés très respectueux et intéressés par le format. Ca fait du bien !
Une communauté dénigrée (volontairement ou pas)
Continuons cet article avec 3 phrases que je lis encore trop souvent et qui me font hurler à chaque fois :
La fiction sonore ce n’est pas du podcast !
Le discours est extrême mais pourtant certains membres de la podcastosphère passent chacunes de leur interviews à le rabâcher sans raison particulière. Je ne me sens pas légitime pour rappeler à ces grands pontes du podcast ce qu’est un podcast mais il me semble qu’à partir du moment où une série de fichiers audio est mise à disposition par l’intermédiaire d’un flux RSS, on parle de podcast non ? Il est évident que les gens qui tiennent ce discours le savent, le seul but qu’ils ont en le tenant donc c’est de faire du bashing, pur et dur, envers une communauté qui galère déjà à attirer de nouveaux auditeurs/auditrices. Sympa.
Que faire alors ? Continuer à créer des liens entre les deux mondes car contrairement à ce que certains disent, d’autres ont très bien compris qu’on fait un travail très similaire et que c’est en partageant nos compétences qu’on arrivera à avancer. A ce moment, je pense à podCloud et Phil Goud qui avait fait une super conférence sur le sujet il y a 3 ans. De mon coté, depuis quelques années, j’essaie d’inviter un grand nombre de podcasteurs et podcastrices pas habitués à faire de la fiction et les résultats sont toujours géniaux. On apprend les uns des autres et on découvre de nouvelles façon de raconter. Le prochain projet sur lequel je bosse en collaboration va également dans ce sens et j’en suis très heureux (et ultra pressé de découvrir les travaux des autres).
Chez moi on écoute des podcasts documentaires, pas des fictions sonores !
Au début, je voyais les gens qui tiennent ces propos comme ma grande tante qui m’interdisait de regarder autre chose que des documentaires sur Arte alors que Retour vers le Futur passait sur M6. En réalité plus le temps a passé et plus je remarque que la plupart d’entre eux n’ont jamais écouté une fiction sonore. Qu’ils n’ont même pas exactement une idée de ce que c’est, des liens qu’on retrouve avec le podcast, des émotions qui y sont transmises.
Là encore, je pense qu’il faut sensibiliser les autres à l’existence de ce média. Proposer et partager ne serait ce qu’une fiction que vous avez écoutée et aimée est un grand geste qui attire parfois des auditrices et auditeurs qui pensaient ne pas aimer. La consommation de fiction sous toutes ses autres formes est grandement acceptée aujourd’hui, les séries, les films, les romans, les bds… pourquoi pas l’audio ? La transmission orale d’histoires existe depuis la nuit des temps par l’intermédiaire des conteurs, des histoires qu’on raconte le soir, elle possède une proximité et une intimité qu’on n’atteint rarement avec d’autres médias. Essayez !
Ah ouais, Naheulbeuk, j’écoutais ça au collège, on se tapait des délires sur l’elfe !
Qu’on soit bien d’accord, j’ai beaucoup de respect pour le travail de PenOfChaos sur sa création pionnière Le donjon de Naheulbeuk, mais celles et ceux pour qui cela constitue encore aujourd’hui l’unique possibilité de fiction passent à coté d’une offre bien plus variée, certainement plus mature et véritablement hétéroclite. C’est à mon avis très dommage, vos goûts ont évolué et c’est normal, mais sachez que ceux des créatrices et créateurs aussi ! On trouve aujourd’hui des fictions sonores dans tous les genres qui existent au cinéma ou à la télévision, les voix des actrices et acteurs ne sont plus modifiées dans la plupart des créations parues ces 5 dernières années. Bref, ça a changé !
A mon avis, c’est très sympa d’être nostalgique de l’époque des sagas MP3 mais si les sites influenceurs ne donnent la parole qu’à des gens qui parlent de fictions qui datent d’une autre époque, ils invisibilisent les créatrices et créateurs actuels qui ont beaucoup de choses à dire, des choses plus… actuelles, justement. Faites un effort de recherche et d’écoute dans vos « Top 10 des fictions sonores » pour proposer ce qui se fait actuellement (tout en proposant, pourquoi pas, de plus vieilles séries à ceux qui ne les connaissent pas !).
Des créateurs disséminés (perdus) dans l’immensité du web
Le forum Netophonix ayant réduit son activité, puis ne correspondant plus vraiment aux standards de communication de 2021, beaucoup de créateurs et créatrices n’y ont jamais mis les pieds. Ils publient alors leur fictions directement sur un service((de streaming, le plus souvent)) et des oeuvres magnifiques vont être oubliées, perdues au milieu d’internet. Plusieurs personnes essaient de travailler sur ce sujet pour les regrouper et les présenter. Je pense à la SagaList de SilverCherry ou à la chaine YouTube du Netophonix que Johnny essaie de mettre en place. C’est un très bon départ mais ces propositions peinent tellement à se faire connaître que peu les découvrent et restent isolés.
Mon rêve ? Un site qui soit reconnu, qui ne contienne que des fictions sonores mais qu’il contienne toutes les fictions sonores, qu’il y ait une équipe qui soit chargée d’aller les dénicher, contacter les créateurs, les mettre en relation. Devenir une référence, actuelle, du monde de la série audio. C’est un travail titanesque auquel j’aimerais participer avec des passioné·e·s.
L’offre payante
Si vous avez décidé, en plus de votre abonnement internet, de votre abonnement Netflix, de votre abonnement à plusieurs journaux en ligne, de vos tips aux créateurs et créatrices que vous aimez, de souscrire à un site de fictions sonores (Audible ou Sybel par exemple) vous aurez sans doute remarqué que les offres « Fiction » de ces catalogues ne s’étoffent pas aussi vite que vos écoutes. Bien sûr, les applications proposent d’autres types de contenu comme des livres audio lus par des célébrités ou des podcasts de développement personnel proposés par… des célébrités mais quand on recherche de la fiction, dont le son est travaillé, avec un vrai intérêt pour le support… on est vite à cours d’exclusivités.
Notons quand même que quelques (rares) maisons de production se sont vraiment intéressées au format, je pense par exemple à Bababam qui, si tous leurs programmes ne me touchent pas complètement, a le mérite de proposer plusieurs créations intéressantes dans des formats cools (binaural…). Ou encore à Blynd qui adapte des BDs à l’audio (ok, c’est pas un concept hallucinant) mais avec des acteurs voix à faire pâlir des prods TV. Pas besoin cependant de passer sur des services payants pour les écouter, on trouve leur créations un peu partout sur le net.
Et la radio ?
Ouf ! Radio France et Arte Radio (qui n’est pas une radio mais en fait euh…) continuent à produire d’excellentes fictions. France Culture notamment propose chaque année plusieurs créations originales avec un travail sur le son toujours à la pointe de la technologie. C’est beau, c’est pro, c’est tout ce que je m’attendais à entendre chez Sybel et Audible à leur création… 😜 Je pense aussi à la RTBF qui produit aujourd’hui d’excellentes créations en Belgique dont j’ai déjà eu l’occasion de parler sur ce blog. C’est toujours un plaisir de découvrir les nouvelles oeuvres qu’ils proposent.
Est-ce que je passe à coté de quelque chose ?
Clairement, depuis quelques temps je me suis retrouvé surpris de découvrir des Creepy Pastas et Livres Audio dans les catégories « Fictions » des annuaires du son. Je ne comprenais pas ce qu’elle faisaient là. je m’aperçois que j’ai moi aussi une idée très construite de ce que doit être ou pas la fiction sonore et je m’en veux un peu. C’est pour cette raison que je vais ouvrir ma « Revue d’été des fictions sonores 2021 » à ces nouveaux genres en écoutant d’une oreille curieuse ce qu’ils ont à proposer. Ne vous étonnez pas d’en entendre parler à partir du 1er juillet sur ce blog.
J’espère que ce pavé d’article ne vous aura pas fait trop peur et qu’il vous aura intéressé. Mes commentaires restent ouvert à la discussion comme d’habitude !